Le bailleur peut il conserver les clés du bien loué à la stricte condition de ne pas s’en servir ?

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REPONSE : NON !
POURQUOI UNE REPONSE AUSSI TRANCHEE ?
Nous parlons très souvent « d’obligation de délivrance » et nous avons l’occasion d’en cerner les contours.
Cette notion existe, en particulier, dans le bail (habitation, commercial et professionnel).
Elle fait partie intégrante de l’obligation synallagmatique (réciproque) et pèse sur le bailleur :
Voyons voir : « Le bail est le contrat par lequel une partie appelée bailleur s’engage, moyennant un prix que l’autre partie appelée preneur s’oblige à payer, à procurer à celle-ci, pendant un certain temps, la jouissance d’une chose mobilière ou immobilière ».
Le contrat implique donc des obligations réciproques que nous pouvons établir de la manière suivante :
BAILLEUR – PROPRIETAIRE | PRENEUR – LOCATAIRE |
Obligation de délivrance de la jouissance du bien loué pour un certain temps | Obligation de payer le prix convenu : le loyer |
Bien entendu, pas de délivrance, pas de bail (pas de loyer, pas de bail non plus !)
Nous allons nous intéresser à l’obligation du bailleur, à la lumière d’une décision récente de la Cour de cassation.
CARACTERISTIQUES DE L’OBLIGATION DE DELIVRANCE :
1°) A la date convenue (et après état des lieux), le bailleur doit remettre la chose au locataire.
Mais comment et sous quelles contraintes ?
Prenons les règles édictées par le Code civil, promulgué en 1804, concernant la location d’un logement :
L’obligation de délivrance est définie, dans le bail, par le Code civil.
Article 1719 :
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
- De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
- D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
- D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
Article 1720 :
Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
Article 1721 :
Il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail.
S’il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’indemniser.
La jurisprudence cerne l’obligation de délivrance du bailleur et la qualifie :
- D’obligation continue (pendant toute la durée du bail)
- D’obligation de résultat (et non de moyens)
Notre remise de TOUTES les clés relève de l’obligation « de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail »
Il n’existe pas de texte spécifique sur cette obligation de remise de l’intégralité des clés, qui relève du droit commun des contrats et en particulier du bail.
L’article cité pouvait avoir un écho dans le cadre d’une obligation de moyens et non de résultat : en effet pour démontrer le manquement à l’obligation de moyens, le preneur doit démontrer une faute du bailleur.
En fait, si le bailleur n’utilise pas sa clé, il n’y a pas de faute, donc pas de responsabilité : la clé peut très bien rester dans son tiroir !
Et si la clé est utilisée (sans recevoir la qualification de violation de domicile), et qu’il n’y a pas de faute, il n’y aura pas de responsabilité du bailleur.
La violation de domicile, qui est un délit, impose des « manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes ». La simple possession d’une clé n’entre pas dans cette qualification, sauf le cas où il serait démontré que le bailleur désire pénétrer dans le logement, à l’insu du locataire, pour effectuer telle ou telle vérification : cette intention constituerait une manœuvre.
Mais ça c’était avant !
Notre décision du 19 juin dernier qualifiant l’obligation de délivrance d’obligation de résultat, la démonstration d’une faute n’est plus nécessaire : la simple possession de la clé suffira pour caractériser l’absence de l’obligation de délivrance avec les conséquences que cela pourra entraîner sur la suite de la location.
Attention à la responsabilité de l’agent immobilier – gestionnaire :
Nous ne pouvons que conseiller à l’agent immobilier gestionnaire de s’assurer de la remise INTEGRALE des clés par le bailleur et peut être lui faire signer une déclaration sur l’honneur concernant la remise desdites clés.
Ne créons pas, par exemple dans le bail, pour la satisfaction immédiate de notre client bailleur, une possibilité de pénétrer dans les locaux loués sans la présence du preneur !
Ne faisons pas signer non plus cette autorisation, quelques jours après la signature du bail et avant même que le locataire soit entré dans les lieux. En cas de conflit le preneur pourrait invoquer le déséquilibre significatif et le bailleur serait puni (civilement, bien entendu).
Il est possible, en revanche, d’envisager un prêt du locataire au bailleur ou son gestionnaire, avec son accord écrit, pour une intervention ponctuelle et dument motivée.
Mais attention à la conservation sans limite de la clé : dans ce cas le bailleur reste gardien de la chose et la police d’assurance serait affaiblie.
Obligation de moyens : Obligation pour le débiteur, non de parvenir à un résultat déterminé, mais d’y appliquer ses soins et ses capacités de telle sorte que la responsabilité du débiteur n’est engagée que si le créancier prouve, de la part de ce débiteur, un manquement à ses devoirs de prudence et de diligence.
Obligation de résultat : Obligation pour le débiteur de parvenir à un résultat déterminé de telle sorte que la responsabilité du débiteur est engagée, sur la seule prive que le fait n’est pas réalisé, sauf à se justifier, s’il le peut, en prouvant que le dommage vient d’une cause étrangère (fait d’un tiers ou force majeure).
Violation de domicile (article 226 – 4 du Code pénal) : « L’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.
Constitue notamment le domicile d’une personne, au sens du présent article, tout local d’habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non. »
Source : nexialim.fr
NEXIALIM “La solution formation multiformats des métiers de l’immobilier”